terça-feira, 29 de novembro de 2011

« Il y a bien un architecte »

[Última entrevista a Danielle Mitterrand, viúva de François Mitterrand, antigo Presidente da República de França]

Danielle Mitterrand : l'ultime interview

Danielle Mitterrand est décédée dans la nuit de lundi à mardi. Nous l'avions rencontrée à son domicile le 27 octobre dernier à l'occasion des 25 ans de France Libertés.

C'est une femme fragile, mais au regard intense et lumineux qui nous a reçues le 27 octobre dernier à son domicile rue de Bièvre. Elle était fatiguée. Elle avait souhaité donner deux ou trois interviews, pas plus, pour célébrer les 25 ans de France Libertés, sa fondation et son combat. Elle voulait vraiment parler à La Vie, nous avait confié sa responsable de communication. Elle nous avait choisi.
Interview testament ? C'est le sentiment que nous avons eu, Corine Chabaud et moi-même, lorsque deux heures durant, l'ex-première dame de France, a accepté de relire pour nous le fil de sa vie. De l'enfance heureuse dans une famille unie et viscéralement engagée, à la Résistance jusqu'à la vie aux côtés de "François" puis du Président. Vie faite des abnégations que l'on sait, dans cette étrange existence d'épouse publique qui a dû partager avec une autre, mais une vie aussi faite de combats personnels, parfois contraires à la raison d'État et à la prudence, pour la dignité, la justice, le pacifisme. Sincère, passionnée, pleine d'humour mais aussi touchante souvent dans ses aveux de fragilité, Danielle Mitterrand n'a esquivé aucune question. Et dans l'extrême sobriété, quasi monacale, d'un rez de jardin rue de Bièvre, en cette veille de Toussaint, la conversation a roulé aussi sur sa compassion pour la souffrance depuis toute petite et sur ce lien inextinguible que l'on entretient avec ses morts. Par delà le doute.


Élisabeth Marshall



« Je suis agnostique. Je doute »

Danielle Mitterrand a décidé d'accorder à La Vie sa dernière interview. Pourquoi ? "Je lui ai fait plusieurs propositions. Elle a choisi La Vie car elle a toujours trouvé que c'était un magazine très respectueux, à l'esprit positif" nous disait hier matin son attachée de presse. Lors de ce long entretien le 27 octobre, à son domicile rue de Bièvre, Danielle Mitterrand semblait fatiguée -elle toussait beaucoup, mais surtout sereine. Comme une femme engagée au parcours cohérent qui a le sentiment du devoir accompli. Voici un extrait de l'interview qu'elle nous a donnée. Nous la publierons en intégralité dans La Vie daté du 24 novembre.

Quel est le fil conducteur de vos combats ?

L’affection. Les liens avec tous ces gens que j’ai soutenus. Je me suis beaucoup investie auprès des Kurdes. Je leur ai rendu visite, par exemple dans la ville d’Halabja où la population avait été gazée. C’était atroce. Nous sommes parvenus à faire sortir beaucoup d’orphelins des camps. Ce dossier m’attendrit, car ce sont des enfants qui ont tout perdu. Souvent, ils m’appellent « maman ». Cela ne me déplaît pas. Je parle. J’écoute même les gens qui n’ont pas les mêmes idées que moi. J’ai un gros défaut : j’aime être aimée. En revanche je n’apprécie ni le vedettariat ni l’adulation. Le dalaï-lama m’a rendu un bel hommage. Il a salué ma vie pleine de sens. Je l’aime beaucoup. Il rit tout le temps. Il estime qu’aucun problème ne doit nous abattre, qu’il présente ou non une solution. Autrefois, j’ai aussi apprécié la rencontre avec sœur Emmanuelle : elle agissait, mettait les gens face à leurs responsabilités. Pas comme Mère Teresa, qui faisait plutôt de la charité. Il y a Fidel Castro aussi, à qui j’ai dit mes quatre vérités, au sujet de la peine de mort et des prisonniers politiques cubains. Un jour, je lui ai demandé : « Comment pouvez-vous supporter d’entendre mes critiques ? ». « Parce que je vous aime bien ». J’ai rencontré aussi Mumia Abu-Jamal dans le couloir de la mort en Pennsylvanie en 1999. Je me souviens du bruit terrible des portes qui se referment… Comme François, je suis contre la peine de mort et la loi du talion. C’est pourquoi je me réjouis que la condamnation à mort de ce militant noir américain soit depuis peu commuée en détention à perpétuité. Même si passer sa vie en prison n’a rien de réjouissant.

Croyez-vous comme votre mari aux forces de l’esprit ?

Oui, il m’a peut-être influencée dans ce sens. Je suis agnostique. Je doute. Je ne crois pas en Dieu car je pense qu’il a été fabriqué par les hommes qui avaient besoin de lui. Mais devant la naissance d’un enfant, ses petits doigts si bien dessinés… Je me dis : « il y a bien un architecte ». Ou quand je vois ce que Jules Verne a imaginé, maintenant réalisé, je m’interroge. Le seul grand malheur que j’ai connu, c’est la mort de mon premier enfant, Pascal, à deux mois et demi, de maladie. Pour les autres, mes parents, François, je me suis résignée à leur disparition, car la vie est un cycle. Et je sens qu’ils sont là. Quand j’ai un gros problème, je pense à eux, je me sens reliée à eux. Comme l’eau nous lie à la terre. Pour François, je relis aussi beaucoup ses écrits, rangés dans la bibliothèque de ma chambre, envahie par les livres, notamment la nuit quand j’ai des insomnies. Il était visionnaire. En 1971, au congrès d’Épinay, il prônait déjà la rupture avec le capitalisme. Malheureusement, il n’y est pas parvenu. Nous avons perdu beaucoup de temps. Mais ce système est à bout de souffle. Sans doute pas loin de s’effondrer. Ah, si nous vivions comme Pierre Rabhi ! Un toit, un coin de terre où élever poules et lapins, comme lorsque mon père a perdu son travail pendant la guerre… Vive la sobriété heureuse !

Quel message souhaitez-vous laisser derrière vous ?

La vie est la valeur la plus importante. Le XXe siècle a apporté beaucoup de progrès en matière de technologies. Mais elles doivent être au service de la vie. J’attends que l’on sorte de la croissance, qui amplifie la pauvreté et les inégalités. Je milite pour une société nouvelle. L’argent rend fou. Il n’est pourtant qu’un outil. Il faut que les valeurs marchandes ne comptent que ce pour quoi elles doivent compter. Il faut que la peur recule. Aujourd’hui, on a peur de perdre sa maison, son travail, sa santé, d’aller dans la rue, de rencontrer son voisin. On a peur de vivre. À tort. Il faut bâtir un monde solidaire.

interview par Corine Chabaud
http://www.lavie.fr/actualite/france/danielle-mitterrand-l-ultime-interview-22-11-2011-22005_4.php

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